Vienne capitale du logement abordable, un voyage Ajibat du 26 au 29 Juin 2024

Comment la capitale de l’Autriche, souvent en tête des palmarès des villes du monde où il fait bon vivre, arrive à loger 60% des viennois dans des appartements confortables, dans des immeubles socialement mixtes, à un prix très abordable puisqu’il ne dépasse pas 10 euros le mètre carré mensuel ?

C’est ce qu’une équipe légère et motivée de six journalistes, membres de l’Ajibat, est allée découvrir, du 26 au 29 juin 2024. Voici un court compte-rendu de ce séjour très riche en visites, rencontres et enseignements, et très inspirant pour élaborer une politique du logement sensée dans les grandes villes d’Europe.

Vienne compte environ 2 millions d’habitants, autant que Paris, mais sur une superficie 4 fois supérieure (416 km2 contre 105 km2) et attire quelque 15 000 nouveaux habitants par an (+1,1%) ; 31 % d’étrangers y vivent, venus des pays voisins (Allemagne, Slovaquie, Serbie) mais aussi de Turquie. Tandis que Paris, elle, se dépeuple…

C’est une ville-land qui dispose de beaucoup d’autonomie administrative et législative, dirigée par un gouvernement (non pas un conseil municipal) dont la ministre du logement est Kathrin Gaàl.

Karl Marx Hof, logement municipal historique édifié entre 1927 et 1930, 1268 logements toujours très habités

Karl Marx Hof, logement municipal historique édifié entre 1927 et 1930, 1268 logements toujours très habités

Vienne est une ville de locataires :

– 19% seulement sont des propriétaires occupants

– 22% des logements, soit 220 000 appartements, appartiennent à la Ville et peuvent être assimilés à du logement social à loyer moyen

– 21% soit presqu’autant, sont des logements loués par des coopératives non lucratives ou à lucrativité limitée, à loyer contrôlé.

Ainsi, 43% des logements sont sociaux ou quasi sociaux et accueillent 60% des viennois, tandis que 33%, un tiers, sont des locations privées.

Les nouveaux immeubles, toujours autour d’un jardin, du quartier Kuku23

L’irruption du privé

Le secteur locatif privé a augmenté ces dernières années sous la pression d’investisseurs autrichiens et allemands. Comme nous l’ont expliqué Thomas Ritt et Lukas Tockner, de l’Arbeiter Kammer (chambre des travailleurs, un puissant syndicat auquel l’adhésion des salariés est obligatoire), le ‘modèle viennois’ a montré ses limites notamment lorsque la ville a, entre 2004 et 2015, réduit son action et laissé plus de place aux coopératives et au privé. Mais, depuis 2022, la construction privée bat de l’aile en raison de la hausse des taux intérêts bancaires et a du mal à vendre sa production, a fortiori face à la concurrence redevenue rude du logement municipal et coopératif.

Vienne-la-Rouge une longue histoire

L’histoire du logement municipal viennois a plus de 100 ans et démarre avec l’avènement de la République (1918) qui succède à l’empire Austro-Hongrois, puis l’arrivée au pouvoir, dès 1919, des Socialistes, alors marxistes révolutionnaires. Ils vont bouleverser la ville, construire pour les travailleurs – et pour éradiquer les taudis – d’énormes ensembles de logements dotés de tout le confort, eau chaude, chauffage, salle de bains dans chaque appartement, balcons et équipements collectifs, lingeries, dispensaires… Les Socialistes dirigent la ville sans discontinuité jusqu’à aujourd’hui, à l’exception de la période fasciste (1933-1940) puis nazie (1940-1945).

Un historien de l’Association Vienne-la-Rouge nous fait visiter deux ensembles emblématiques :

– Rabenhof, en centre-ville, comprend un théâtre, une ‘salle d’isolement’ destinée, à l’époque, aux tuberculeux, un jardin d’enfant et… le local du Parti Socialiste : l’ensemble, construit entre 1925 et 1928, compte 1200 appartements.

– L’iconique Karl Marx Hof, construit entre 1927 et 1930 par Karl Ehn, disciple d’Otto Wagner, est une impressionnante barre de 1,2 km où les viennois apprécient toujours de vivre, cent ans après sa création.

L’architecte Much Untertrifaller et le groupe de journalistes Ajibat en visite dans l’un des appartements

Le modèle municipal

Vienne et les viennois sont fiers de leur logement municipal. La ministre Kathryn Gaàl définit sa politique comme une « sécurité sociale du logement ». Ici, pas de quartiers de riches et de quartiers de pauvres aussi marqués qu’à Paris : toute la ville est semée de bâtiments arborant leur appartenance à la ville, souvent en lettres rouges, avec la date de construction.

Chaque année, la ville investit entre 400 et 500 millions d’euros pour créer de nouveaux logements ou réhabiliter les anciens. Ces fonds viennent pour moitié d’une taxe assise sur les salaires (1%) et, pour l’autre moitié, du retour des prêts consentis aux coopératives. Vienne s’est dotée d’une foncière qui constitue des réserves, notamment, ces dernières années, en acquérant des terrains ferroviaires désaffectés.

Un logement municipal est attribué sous conditions de ressources mais avec des plafonds si élevés que 75% de la population y est admissible et que les immeubles sont un exemple de mixité.

A Nordbanhof, cuisine et salle de réunion de l’immeuble participatif WohnProjekt. Livré en 2014, géré par les habitants en sociocratie.

Le modèle coopératif

Petit déjeuner avec Gérald Koessel , économiste de la Fédération Autrichienne des Coopératives, qui regroupe 182 organismes, dont une cinquantaine à Vienne. Elle est à la tête d’un million de logements dans tout le pays, dont 700 000 appartements locatifs et 300 000 destinés, à terme à la propriété.

Mr Koessl nous détaille le modèle économique des coopératives, étroitement lié à la ville de Vienne qui fournit le terrain, débloque des prêts à long terme (35, voire 40 ou 60 ans) à taux imbattable (1%), pour couvrir 31% du coût global de l’opération.

Les coopératives construisent des logements à loyers modérés et proposent également de l’accession à la propriété. Dans certains cas, les locataires apportent du capital, ce qui permettra de baisser leur loyer : il leur sera restitué à leur départ, mais décoté de 1% par année de présence.

Mode de financement des immeubles coopératifs


Alt Erlaa

Nous avons eu la chance de visiter le monumental ensemble Alt Erlaa, construit entre 1974 et 1976 par l’architecte Harry Glûck. C’est une ville dans la ville : trois barres de 27 étages directement connectées au métro, totalisant 3200 appartements avec, pour la plupart, une terrasse, sept piscines, trois centres médicaux et autant de jardins d’enfants, 3400 places de parking, trente clubs d’activités variées, deux églises, une quarantaine d’ascenseurs… et 50 personnes pour gérer tout cela, sous la direction d’un comité des locataires de 12 élus, désignés pour cinq ans. L’ensemble appartient à une société détenue à 60% par la coopérative municipale Gesiba et à 40% par les locataires-coopérateurs. Les logements sont rigoureusement incessibles donc à l’abri de la spéculation.

Notre guide, Stephan Palacek, par ailleurs élu des locataires, habite un quatre pièces de 110 mètres carrés avec une grande terrasse de 50 mètres carrés, pour un loyer de 1100 euros par mois, chauffage compris : il a, à l’entrée dans les lieux, versé 12 000 euros qu’il récupèrera à son départ, réduits de 1% par année de présence.

En visitant Alt Erlaa, on fait un voyage dans le temps. La population est évidemment âgée car l’ensemble est toujours majoritairement occupé par ses premiers habitants (qui n’en partiraient pour rien au monde). Il faut s’inscrire sur une liste d’attente pour espérer s’y voir attribuer un logement, attendre plusieurs années, un peu moins si l’on est fils ou fille d’un des résidents si bien que l’on y trouve parfois trois générations d’une même famille. C’est d’ailleurs le cas de Stephan Palacek qui y voisine avec ses parents.

Alt Erlaa, ensemble coopératif des années 1970, « ville dans la ville », avec d’innombrables terrasses

Alt Erlaa, un représentant des locataires montre les vide-ordures d’époque encore en fonction.

Compte-rendu écrit par Isabelle Rey-Lefebvre

Ce voyage a donné lieu à trois dépêches AEF, par Lucie Romano

https://www.aefinfo.fr/depeche/715403-vu-de-vienne-en-autriche-bienvenue-au-paradis-du-logement-abordable-13

https://www.aefinfo.fr/depeche/715777-vu-de-vienne-en-autriche-le-poids-grandissant-du-marche-libre-vient-gripper-la-machine-23

https://www.aefinfo.fr/depeche/715405-vu-de-vienne-en-autriche-un-paysage-de-toitures-depuis-les-larges-terrasses-des-logements-33

Et à un dossier de Magali Tran dans Actualités Habitat

https://www.union-habitat.org/sites/default/files/magazines/pdf/2024-09/ush_actualites_habitat_1218_2024_09_30.pdf